Plusieurs formes de thérapie proposent d’utiliser la dynamique du corps comme moyen d’approcher les conflits intérieurs. Les plus connues sont les méthodes Alexander et Feldenkrais.
Sans prétendre arriver à la complexité de ces méthodes et aux finesses d’interventions des personnes qui y sont certifiées, ces méthodes nous enseignent que le corps, la façon dont il se meut et l’amplitude des mouvements de celui-ci sont des informations sur la personne qui l’occupe.
Les mouvements peuvent être utilisés dans la thérapie de différentes façons. Dans cet article, nous allons aborder le travail avec le corps en ACT (Thérapie d’Acceptation et d’Engagement) en mettant en mouvement principalement le cadre déictique spatial.
L’intérêt de faire participer le corps à la thérapie est qu’on implique plusieurs modalités de traitements de l’information, habituellement peu associées, comme le corps et le mental, de façon à évoquer un contexte symbolique fort pour changer les perspectives du patient. De plus, le corps et son mouvement offrent des informations supplémentaires qui ne sont pas évoquées lorsqu’on « réfléchit » simplement à un problème. Plus d’informations, un cadre de traitement de celles-ci différent, des perspectives nouvelles et des outputs tant corporels, affectifs que cognitifs sont, pour nous, un moyen qui favorise un travail thérapeutique pragmatique et éclectique.
Cet article est destiné à vous permettre d’explorer l’espace peu investi situé entre le thérapeute et le patient et en dehors de celui-ci.
Nous envisageons la corporalisation sous plusieurs angles, à explorer au cours de chaque exercice, en fonction de la pertinence de ceux-ci.
La forme : est, comme son nom l’indique, les gestes que la personne exécute. C’est en quelque sorte la géographie du mouvement. Elle peut soit être simplement lue par le thérapeute ou encore provoquée par celui-ci. Elle peut être subtile et ne mobiliser qu’une partie du corps ou bien le faire danser dans toute la pièce. Le travail de la forme va être développé plus en détail ci-dessous.
L’amplitude : est l’étendue considérable du mouvement. Un même mouvement peut avoir une amplitude large, modérée ou restreinte. On travaillera l’amplitude en la faisant varier, à plusieurs reprises, tant en élargissant le mouvement qu’en le diminuant. On touche ici à ce qu’on appelle l’amplification en Gestalt thérapie.
La fluidité : est la « mélodie » du mouvement. Elle peut être saccadée ou coulante, comme un mouvement de Tai Chi.
La résistance/la force : est l’intensité du mouvement. Sans être forcément rapide, un mouvement peut être réalisé avec force ou douceur tout comme une posture, fixe, peut opposer plus ou moins de résistance.
La vitesse : est la rapidité d’exécution du mouvement.
L’espace entre le thérapeute et le patient
Bien que les possibilités de mouvements soient plus importantes si on se lève des chaises, il n’est pas nécessaire de le faire systématiquement. Déjà sur la chaise, il est possible d’utiliser les mouvements. L’exemple du symbole dans le focusing est une façon de le faire. D’autres possibilités pourraient être :
« l’é-mouvement » (séance individuelle)
Demandez au patient d’utiliser son corps pour vous communiquer ce qu’il ressent, cela peut être un geste, un mouvement, une posture particulière. Afin d’accompagner le patient dans cette démarche, mimez-le et demandez-lui si c’est bien de cela qu’il s’agit. Insistez sur la forme, l’intensité, la vitesse, l’énergie du mouvement, du geste ou de la posture. Lorsque c’est ok, proposez au patient de faire un exercice d’exploration de cette posture en utilisant les outils du focusing.
Vous pouvez ensuite proposer de faire le geste, le mouvement ou la posture qu’il souhaiterait avoir dans la situation qu’il a évoquée en suivant la même procédure que précédemment.
Vous pouvez également proposer de joindre les deux et d’explorer, d’abord lentement, le passage de l’un à l’autre et de changer le rythme de ce changement de geste, mouvement ou posture.
Explorez avec le patient ce qu’il ressent. Quels sont les premiers mouvements qui s’opèrent ? Quelle différence induit le changement ?
« Donne-moi ta main » (exercice de couple)
Proposez au couple d’explorer chacun à leur tour la main de l’autre, d’abord les yeux fermés puis ouverts pendant 5 minutes chacun. L’idée est ici de rentrer en contact avec son partenaire par le biais des sensations et non par le biais de la pensée et de la parole.
« Cette posture qui me trahi »
Lorsque vous répétez une posture particulière chez votre patient, c’est-à-dire qui vous semble significatif par rapport au contexte qui le préoccupe, arrêtez-le en lui demandant de se figer, de ne plus bouger. Explorez avec lui ce qui se passe dans son corps quand il est dans cette posture. Quelles sont images, pensées, sensations particulières lui viennent. Si cette posture était le point de départ d’un changement, vers quelle autre posture irait-elle ? Proposez d’explorer le mouvement entre les deux postures au ralenti et en variant les différentes modalités du mouvement.
L’espace en dehors des chaises
Une salle de consultation n’est pas que deux chaises l’une en face de l’autre. Il est possible d’investir tout l’espace, comme la danse SOORVA le propose.
Un exercice tout simple permettant de bouger un peu est « les cercles d’expérience ». Cet exercice s’appuie sur le principe d’apprentissage du backward chaining.
Cet exercice a comme objectif d’aider le patient à se connecter à des ressources profondes en lui en travaillant tant l’évocation de ces ressources que l’accès à celles-ci. On peut utiliser cet exercice tant pour le relier à des concepts comme le courage, l’amour, la sérénité, la force ou encore pour entrainer la prise de contact avec ses valeurs. Pour illustrer l’exercice, nous prendrons le cas particulier d’un patient qui a peur d’aller vers autrui.
Première étape : définir les cercles
Le travail se fait avec deux cercles d’expérience minimum : le cercle initial et le cercle de ressource. Le cercle initial représente l’état actuel de la personne (ex.: peur, isolement, fuite) avec toutes les pensées, les sensations et les comportements. Le cercle de ressource est l’état souhaité de la personne en partant du principe qu’elle aura probablement toujours peur au début et que cette peur ne partira sans doute jamais. Il lui faudrait donc trouver un accès à une ressource supplémentaire. Ici, nous avons décidé avec le patient que ce serait le courage.
Lorsque les cercles sont définis, demandez au patient de localiser ceux-ci dans la pièce.
Deuxième étape : explorer l’état initial
Proposez au patient de se mettre dans le premier cercle et de rappeler ce qu’il ressent dans ces situations. La peur, le figement, les pensées, les sensations. Aidez le patient à explorer en profondeur (Focusing) ce qu’il ressent et proposez-lui de trouver une posture de départ qui représente, et lui permette de contacter, cette émotion inconfortable. Ne passez pas à l’étape suivante tant que le patient ne ressent pas dans son corps cette émotion ou ce sentiment.
Troisième étape : explorer les ressources
Avec le patient, définissez l’expérience corporelle particulière qu’il voudrait avoir également dans ce même contexte – en sachant que la peur ne disparaitra probablement pas. Il est tout à fait possible de réaliser cet exercice en partant d’un concept abstrait comme le courage ou l’amour. Si c’est le cas, concrétisez au maximum ce que cela représente : que ressentirait-il ? Que ferait-il ? À qui pourrait-il penser pour l’aider ? Quand a-t-il ressenti cela dans sa vie ? Utilisez tout ce qui vous semble pertinent pour favoriser l’accès expérientiel du patient à cet état de ressource.
Quatrième étape : Culture du cercle ressource (backward chaining)
Proposez au patient de quitter le cercle ressource et de se mettre juste devant lui. Cette étape est destinée à apprendre l’accès à sa ressource. Explorez avec le patient ce qu’il ressentirait juste avant d’accéder à sa ressource. Proposez-lui ensuite d’entrer doucement dans le cercle en se connectant à sa ressource. Cela peut prendre du temps la première fois. Rassurez le patient s’il n’y arrive pas dès le premier essai. Recommencez plusieurs fois jusqu’à ce que le patient ait un accès rapide à sa ressource.
Faites quelques pas en arrière jusqu’à la distance médiane entre les deux cercles, et proposez au patient de faire le chemin vers sa ressource depuis ce point en suivant la même procédure que précédemment. Que ressentirait-il à ce point ? Puis faites le chemin jusqu’à la ressource. Recommencez jusqu’à ce que le patient arrive rapidement à connecter sa ressource.
Proposez au patient de se positionner juste en dehors du cercle initial puis de faire le chemin depuis cet endroit vers son cercle ressource. Recommencez jusqu’à ce que le patient arrive à se connecter rapidement à sa ressource lorsqu’il entre dans son cercle.
Cinquième étape : sortir du cercle initial
Demandez au patient d’entrer dans le cercle initial et de se connecter à sa peur, à cette émotion inconfortable qui, dans notre exemple, le paralyse. Lorsque le patient ressent dans son corps avec une intensité suffisante cette émotion, demandez-lui de lentement lever un membre (ex.: pied, bras) pour sortir celui-ci du cercle et aidez le patient à explorer son expérience pendant tout le mouvement jusqu’à ce que le membre touche le sol en dehors du cercle.
Depuis cette posture, en dedans et en dehors du cercle, aidez le patient à explorer tout ce qui se présente à lui en matière de sensations, de pensées, de tendances (ex.: envie de fuir, envie de se mettre en boule, envie de revenir dans le cercle). Aidez le patient à se connecter à sa respiration et au chemin qu’il a pratiqué avec vous pendant l’étape 4. Il est déjà sur le chemin.
Proposez au patient de ramener le reste du corps vers l’extérieur, le plus lentement possible, en étant très attentif à tout ce qui se présente à lui.
Lorsque le patient est en dehors du cercle, proposez-lui de se diriger vers le cercle ressource et d’y rentrer, le plus lentement possible et avec le plus de présence possible à ce qui se passe dans son corps (ce que dit son Conseiller, ce qu’observe son Observateur, ce que fait son Explorateur si vous travaillez à partir des métaphores de l’ECO-V).
Recommencez le passage d’un cercle à l’autre toujours en vous assurant que le patient expérimente bien avec son corps les deux états et le passage de l’un à l’autre.
Exercice bonus : Le Miroring
Fonction de l’exercice
Cet exercice a pour but de procéder à un changement de perspective en relation à un problème. On travaille avec les cadres déictiques identitaires et spatiaux. La fonction principale est de permettre au patient de prendre soin de lui-même par l’intermédiaire du praticien jouant son rôle. Il est possible également que cet exercice permette au praticien de mieux comprendre ce qui se passe chez le patient et il peut être réalisé aussi dans ce sens. De plus, il favorise une prise de conscience étendue de la problématique de la part du patient, générant parfois des changements de perspectives importants.
Script et mise en place
Le praticien prend le rôle du patient et le patient prend le rôle du praticien. Ils changent de chaise lors de ce changement de rôle. Cette inversion des rôles dure plus ou moins 3 minutes. À la fin du temps défini, praticien et patient reprennent leur place et leur rôle et continue l’entretien sur base de cette expérience.
Consignes au praticien
Proposez au patient de changer de place et de rôle pendant 3 minutes. Lors de ce changement de place, vous allez prendre la place du patient, en changeant de chaise. Lorsque vous incarnerez le patient, vous parlerez à la première personne, en renvoyant ce que vous avez compris de la problématique dans laquelle le patient se trouve, avec vos mots, et, surtout, en écoutant votre ressenti sur cette chaise et en parlant également depuis celui-ci si vous trouvez cela pertinent par rapport à la prise en charge.
À la fin des trois minutes, vous arrêtez l’exercice et reprenez votre place. Vous continuez l’entretien sur base de l’expérience du patient lorsqu’il est de retour sur sa chaise et dans son rôle.
Consignes à verbaliser au patient
« Je vais vous proposer un exercice afin de me permettre de mieux comprendre ce que vous vivez actuellement. Cela va durer seulement 3 minutes. L’idée est que nous allons changer de place tous les deux et que je vais parler depuis ce que j’ai compris de votre perspective et vous allez prendre ma chaise et m’aider à approfondir ma réflexion, du mieux que vous le pouvez, comme si vous étiez moi. Il est important de ne pas essayer de me corriger, nous pourrons parler d’éventuelles différences après l’exercice. Êtes-vous d’accord ? »
Consignes pour le débriefing
Lorsque chacun a repris sa position et son rôle, le praticien interroge le patient sur son expérience immédiate, à propos de ce qu’il ressent en étant assis sur sa chaise à présent.
Ensuite, il l’interroge sur les différences et les similitudes dans sa perception du problème avant et après le changement de rôle.
L’exercice peut être réalisé à plusieurs reprises.
Une variante de cet exercice, en groupe, est l’exercice du trio que nous développerons dans un futur article.
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