«J’ai peur donc je fuis»Néandertalien anonyme, – 200.000 ans AVJC
Depuis la nuit des temps, la première réaction à un événement qui nous fait peur est la fuite.
Ca marche bien.
Notre peur diminue quand notre tête nous dit que nous sommes en sécurité. Lorsqu’on a moins peur, on arrête de fuir.
Ce réflexe de fuite nous a sauvé plus d’une fois.
Un jour où ma tête était irrésistiblement attirée par les nuages de notre beau ciel d’automne, je me mis dans l’idée de traverser une rue. Sans regarder. Ma jambe se lève avec la ferme intention de rejoindre l’autre côté de la rue. Jusque là rien de spécial. Un bruit fracassant me sort de mes réflexions météorologiques en une fraction de seconde. Mon geste s’arrête et ma jambe, pourtant bien décidée quelques secondes auparavant, s’immobilise, se repose sur le sol et pousse mon corps en arrière. Mon attention est attirée par un bolide blanc et bleu qui fonce vers moi à vive allure dans un feu d’artifice de lumières et de bruits. Une voiture de police.
La réaction automatique d’immobilisation et de fuite dont j’ai été l’objet a comme point de départ la surprise. Puis la peur.
C’est utile d’être en état de peur.
C’est utile de fuir.
Oui.
Mais pas tout le temps.
Parfois, la peur se déclenche sans qu’il y ait un danger réel dans notre environnement.
Parfois, la peur se déclenche car notre tête nous raconte une histoire. Une histoire qui fait peur.
Que faire dans ce cas là ? Fuir ?
Ce que nous sommes amenés naturellement à faire, c’est bien la fuite. Avant la fuite, il y a ce que les psychologues appellent la «tendance à l’action». C’est «l’irrésistible besoin de faire …»
Prenons quelques exemples :
- Je suis dans une salle de réunion, une salle de classe, j’ai peur, j’ai envie de sortir.
- J’ai peur des souris, j’en vois une, je veux quitter la pièce (et accessoirement, j’ai envie de crier).
- Je suis dans la rue, j’ai une montée d’angoisse : augmentation de mon rythme cardiaque, sueur, sensations de vertige, de quitter son corps … j’ai l’irrésistible besoin de rentrer chez moi.
- On me marche sur les pieds, la colère s’empare de moi, j’ai l’irrésistible envie de faire quelque chose à la personne peu soucieuse du bien-être de mes chaussures.
Vous avez probablement d’autres exemples en tête.
Nous sommes construit comme cela : nous ne supportons pas le mal-être et aspirons au bien-être. Chaque cellule de notre corps suit ce principe. Chaque être vivant répond à cette loi. Cette loi ne n’applique pas seulement à la peur. L’angoisse, la tristesse, la colère, la honte, la culpabilité sont autant d’autres émotions qui génèrent en nous un mal-être.
En psychothérapie (et en psychologie des émotions), on définit l’émotion comme étant les tendances à l’action, les sensations physiques et les pensées qui nous habitent lorsque l’émotion est activée.
Après la tendance à l’action, phénomène naturel composant l’émotion, elle même automatiquement déclenchée par des stimuli de notre environnement (interne ou externe), se déroule l’action.
En mode automatique, nous suivons la tendance à l’action. Fort heureusement, car ça nous sauve la mise depuis des millénaires.
Le problème survient lorsque la fuite nous empêche d’avancer.
Il arrive parfois que l’on se retrouve coincé dans un système émotion-fuite-émotion-fuite-émotion… sans s’en rendre compte, car c’est notre façon normale de fonctionner.
On ne fait pas exprès de se coincer. C’est une tendance naturelle.
De fuite en fuite, on peut en arriver à réduire son champ d’action à quelques nécessités de survie : manger et dormir.
Il est intéressant de constater que ce n’est pas tant la situation que l’on a tendance à fuir, mais l’émotion qu’elle suscite en nous.
En effet, il n’y aurait pas la peur en face de la souris, la fuirait-on toujours ?
Non.
Ce qui nous amène à considérer que ce que l’on fuit, ce n’est pas tant la souris que la peur qu’elle provoque.
D’autres psychologues se sont fait la même réflexion.
En analysant de près ce qui se passe chez les personnes qui sont sous l’influence d’une émotion, ils ont pu mettre en évidence le processus de l’évitement émotionnel.
Ce processus est un vieil ami que les psychologues comportementalistes appellent le renforcement négatif. Il a probablement d’autres petits noms dans d’autres approches (psychanalytique, systémique, Rogerienne, Batsonienne). Pour ma part je l’appelle «renforcement négatif» et je vous invite à faire autant lors de votre lecture de cet article. Après, vous pourrez l’appeler «patapoum» si vous voulez.
Le renforcement négatif est une façon d’apprendre. Il fonctionne de la façon suivante : on ressent quelque chose de désagréable, on fait quelque chose, la sensation désagréable diminue. J’ai peur, je fuis, je n’ai plus peur. J’ai faim, je mange, je n’ai plus faim. J’ai mal, j’arrête de me frapper la tête au mur … j’ai toujours un peu mal, mais les coups s’arrêtent.
On apprend assez vite que ça vaut la peine de répéter le comportement à l’avenir dans des situations similaires. Jusqu’à ce que le comportement devienne une habitude et qu’il soit difficile de l’interrompre.
J’aime bien comparer le système du renforcement au fait de manger des pistaches. Dans le cas des pistaches, il s’agit d’une renforcement positif, mais le processus est le même. Un renforcement positif ou négatif reste un renforcement : il augmente la probabilité d’apparition du comportement renforcé. En ouvrant la coquille, je suis directement récompensé de l’effort que je viens de faire et je recommence le comportement avec une suivante, et une suivante … dix minutes plus tard, je me retrouve avec un cimetière de coquilles sur la table. Il est très difficile d’interrompre un comportement qui est ainsi renforcé. C’est extrêmement addictif.
Le problème avec les pistaches, c’est qu’elles sont vraiment très bonnes. A court terme, les manger nous procure beaucoup de plaisir. Sur le long terme, cela peut nous donner la sensation que nos vêtements rétrécissent. Cela marche bien à court terme pour nous donner une certaine satisfaction, mais c’est relativement peu efficace à long terme pour nous aider à nous accomplir dans la direction que l’on souhaite prendre, à tout le moins concernant notre santé et notre silhouette.
Le renforcement négatif suit le même principe. Ici, ce qui maintient notre comportement, ce n’est pas une récompense mais le retrait de quelque chose de désagréable : la sensation de peur. A court terme cela augmente notre sensation de confort. A long terme, cela peut nous bloquer littéralement dans notre chambre, en dessous de notre lit.
Calvin et Hobbes illustrent assez l’apprentissage par renforcement négatif.
- Je vois un extra-terrestre
- Parmi l’ensemble des réactions possibles face à un extra-terrestre, c’est la peur qui surgit
- Parmi l’ensemble des comportements que j’ai dans mon répertoire lorsque la peur est activée, la fuite est le plus facilement activable
- La peur diminue
- Le fait d’avoir fuit :
- m’empêche d’apprendre que l’extra-terrestre n’est pas dangereux
- augmente la probabilité de voir surgir une autre réaction de peur dans un contexte partageant certaines caractéristiques avec celui-ci (i.e. j’augmente la probabilité d’avoir peur la prochaine fois que je vois une souris)
- Le fait que la peur diminue en fuyant, augmente la probabilité de fuir la prochaine fois que j’ai peur en voyant une souris (ben oui, ça marche bien de fuir)
Et ainsi de suite, jusqu’à cristalliser la réaction dans un système quasi-automatique, proche de la règle comportementale.
Rester dans son lit, ou en dessous, n’est pas le comportement le plus efficace pour accomplir les choses qui importent dans notre vie. Cela nous aide à éviter, autant que l’on peut, de se sentir «trop» mal. Si notre énergie est tournée en direction de ne pas se sentir trop mal, il y a de forte chance que nous n’ayons pas de temps à consacrer à faire en sorte que notre vie se passe bien. Ne pas aller trop mal n’est pas la même chose qu’avoir une vie pleine de sens, d’être la personne que l’on souhaite être. Il est difficile d’être en tenue de combat, armes et grenades en main, prêt à lutter avec nos émotions et de prendre les gens qu’on aime dans nos bras en même temps.
Il est difficile de faire les deux en même temps. Il faut faire un choix.
C’est ce choix que l’on apprend à faire chez un psychologue comportementaliste.
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